Actualités sur les expériences exceptionnelles
> Le merveilleux derrière la porte
Olivier Rimbault est agrégé de lettres classiques, membre associé du Centre de recherche sur les sociétés et environnements en Méditerranée (Université de Perpignan). Il est l’auteur de plusieurs travaux sur le folklore du Sud-Ouest de la France. Toutefois, dans son dernier ouvrage Le merveilleux derrière la porte, il ne s’agit ni de contes, ni de légendes, mais de témoignages. Lui-même s’en étonne (p. 6-7) :
Traiter du merveilleux en folkloriste, en philologue, en historien des croyances, c’est assez simple, presque confortable, car parler d’imaginaire collectif, d’imagination, permet de limiter son étude à une série d’observations et à la compréhension de certaines logiques, au demeurant fort intéressantes et éclairantes pour l’histoire de la littérature, des traditions populaires, des mentalités ; mais on laisse ainsi à d’autres savants (le psychologue par exemple, ou le philosophe, ou encore le neurologue) le soin d’aller plus loin dans la compréhension de l’imagination humaine. Les mots imaginaire, imagination semblent vouloir dire que notre esprit produit le merveilleux, qu’il en est la seule source. Mais qu’en savons-nous ? Pourquoi ne pas prétendre alors qu’il produit aussi bien tout ce qui frappe nos sens et notre esprit à travers eux ? La totalité du monde en quelque sorte… Tant il est vrai que la logique des mots et des raisonnements philosophiques peut produire de l’extraordinaire sans limite ! Mais la science a besoin de limites, ne serait-ce que pour avancer pas à pas, en éclairant le mieux possible un objet circonscrit. Et l’ancienneté d’un récit, comme son caractère “populaire”, permet justement de ne pas se sentir dérangé dans les limites que la science moderne assigne à l’exercice de la raison et à la connaissance que celle-ci produit pour nous aider à mieux vivre. Seulement, dans l’étude d’un certain nombre de thèmes fantastiques très traditionnels et qui sont encore bien vivants (les coïncidences extraordinaires, les guérisons miraculeuses, les prémonitions, les visions en tous genres, etc.), les récits de notre temps, sont beaucoup plus troublants quand ils se présentent comme des témoignages, autrement dite quand celui qui les recueille a devant lui la personne qui fait ce récit en disant le plus sincèrement du monde, non pas “il était une fois”, mais “voilà ce que j’ai vécu”… Devant un “témoin”, même le savant ne peut plus parler seulement d’un simple récit : on lui confie un phénomène, si subjectif soit-il.
Il est très rare qu’un folkloriste fasse preuve d’une telle réflexivité lui permettant de se rendre compte de la fonction défensive que prend son approche méthodique. Et c’est néanmoins avec ses outils rigoureux, et conscient de la complexité de sa posture, qu’Olivier Rimbault décrit une vingtaine de témoignages collectés d’une façon très similaire aux contes et légendes de ses précédents travaux. Récits de “phénomènes fantomatiques ou féériques”, de “communications avec les défunts”, de “synchronicités et de signes”, de “prémonitions et d’intuitions surnaturelles”, de “guérisons et d’intercessions extraordinaires”, et d’”expériences spirituelles”. Quelques unes de ces expériences lui sont arrivées personnellement (dans sa jeunesse), les autres viennent de témoins qui, pour la plupart, gardent l’anonymat.
Ce livre découvre, avec une certaine fraicheur, le champ des expériences exceptionnelles. Il est loin de couvrir la littérature savante sur le sujet, même s’il dialogue avec diverses références françaises plus ou moins bien trouvées. Bertrand Méheust est cité non seulement pour Somnambulisme et médiumnité (1999), mais aussi pour Soucoupes volantes et folklore (1985), qui posait déjà cet épineux problème d’une rencontre, sur le terrain, de “vécus mythiques”. Comment traiter le merveilleux sans forcément réduire sa part de réalité ?
Le grand intérêt de cet ouvrage est sa façon de décrire avec justesse et sans jugement des récits clairs, qui donnent à réfléchir et, pour certains, qui peuvent faire écho à des vécus personnels. La conclusion est très encourageante :
Les récits qu’on vient de lire, contrairement à ceux que j’ai pu présenter dans d’autres livres, n’entrent pas dans la catégorie des légendes modernes (celles que les sociologues appellent aussi les légendes urbaines). En effet, ce ne sont pas des récits entendus et répandus de manière plus ou moins collective et déformée, et dont on ne connaîtrait pas la source. Je connais personnellement la source de chacun des récits que je viens de rapporter, et si j’ai donné à certains de mes interlocuteurs un pseudonyme, c’est évidemment pour protéger leur vie privée. Que racontent-ils ? Des histoires dont les thèmes courent depuis la nuit des temps. Mais je suis le témoin du fait que tous ces gens “ordinaires” (dont je fais d’ailleurs partie) ont vécu des expériences totalement déroutantes, surgissant toujours de manière inattendue. Leur manière de raconter ne laissait pour moi aucun doute, et j’étais en mesure d’évaluer cette sincérité ayant été moi-même le sujet de telles expériences. Dire que ces gens ont mis les mots des légendes entendues dans leur enfance sur un phénomène explicable autrement est un peu court. On peut tout aussi bien déduire de tous ces témoignages contemporains que le légendaire traditionnel ne s’est pas nourri seulement de la crédulité humaine et de ses motivations psychologiques (ne serait-ce que le plaisir de raconter et d’entendre de “bonnes histoires”), mais qu’il a pu être suscité pour une part, puis renforcé, par des expériences authentiques.